Publié le Mardi le 6 février 2024

Mon corps

Nos réseaux sociaux sont envahis depuis plusieurs mois déjà par ce supposé nouveau miracle tant attendu pour perdre du poids : l’Ozempic. Y a-t-il réellement matière à appeler au miracle? Et si la réponse était: oui, non, ça dépend pour qui et pourquoi...

Un sujet polarisant

Mythes et réalités se côtoient sur le sujet et se multiplient au gré des tweets, des reels et des publications de nombreuses vedettes et influenceur.euse.s. Pendant que certains en vantent les effets sur la perte de poids, d’autres sont pointés du doigt ou « accusés » d’utiliser la voie « facile » pour perdre du poids, ou encore de participer activement à la culture des diètes. Enfin, d’autres sont carrément accusés de « voler » le médicament aux patients qui en ont réellement besoin, étant donné la pénurie mondiale qui sévit actuellement. Cet article ne se veut pas une énième façon de stigmatiser les personnes grosses*, qu’elles soient dans l’acceptation corporelle, dans une démarche de perte de poids volontaire ou non ou qu’elles utilisent une méthode pharmacologique ou chirurgicale de perte de poids. Il vise plutôt à apporter les nuances nécessaires afin de mieux comprendre, sans jugement, ce nouveau phénomène. Commençons par exposer quelques faits.

L’Ozempic, c’est quoi?

Ozempic est en fait un des noms commerciaux utilisé pour le médicament appelé semaglutide. Il existe aussi le Wegovy et le Rybelsus. Le semaglutide peut être très intéressant dans le traitement de certaines pathologies. Les doses de ce médicament peuvent varier énormément selon les indications en lien avec la pathologie à traiter. L’utilisation la mieux connue de ce médicament est pour le traitement du diabète de type 2. En effet, il aide entre autres à stabiliser le taux de sucre dans le sang. En plus des effets du semaglutide sur la glycémie, on sait qu’il joue un rôle dans la régulation de la faim et de la satiété. Il semble également produire un effet sur les rages alimentaires envers les aliments gras et sucrés, et même sur la consommation d'alcool et de tabac chez certaines personnes. Plus d’études sont nécessaires afin de déterminer dans quelle mesure il pourrait être utilisé dans le traitement de dépendances. De plus, il ralentit le passage de la nourriture de l’estomac à l’intestin, ce qui contribue au sentiment de satiété. D’où les effets sur le poids.

Un miracle? Un peu, mais…

Les « mais » résident dans les effets secondaires réels et potentiels et peuvent être vécus par toute personne qui prend ce médicament, y compris les personnes atteintes de diabète de type 2. Alors bien qu’il s’agisse d'un excellent médicament, il peut y avoir un prix à payer et ce dernier n’est pas que monétaire. Concernant les effets secondaires, notons les répercussions possibles sur le système digestif : nausée, constipation, diarrhée, reflux, etc. Ceux-ci seraient beaucoup en lien avec le dosage et la progression de celui-ci. Ainsi, une personne pourrait n’avoir aucun effet secondaire avec une dose élevée et quelqu’un d’autre pourrait ressentir de très grands effets secondaires avec une faible dose. Outre les inconforts digestifs plus ou moins incommodants, d’autres conséquences potentielles peuvent être plus sérieuses: pouls rapide, pancréatite, etc. En tout temps, c’est aux médecins, aux infirmier.ère.s praticien.ne.s spécialisé.e.s ou aux pharmacien.ne.s, en collaboration avec le.la patient.e, de suggérer des doses et une progression du dosage selon l’évaluation de la santé globale de la personne et l’analyse de la balance des risques et bénéfices.

Et le poids dans tout cela?

Venons-en au cœur du sujet : le poids. En coupant la faim par divers mécanismes, il peut bien sûr résulter une perte de poids avec l’utilisation du semaglutide. Celui-ci a d’ailleurs été commercialisé, sous le nom de Wegovy, spécifiquement pour le traitement médical de l’obésité. Dans ce cas, des doses parfois beaucoup plus élevées sont utilisées, augmentant par le fait même le risque d’effets secondaires indésirables. Vous n’en avez jamais entendu parler? C’est normal, car bien que Santé Canada ait bel et bien approuvé le Wegovy pour le traitement de l’obésité, nous n’avons jamais pu en recevoir au Québec étant donné la pénurie mondiale de semaglutide. Résultat : l’Ozempic a été bien souvent prescrit pour le traitement de l’obésité, parfois en utilisant des doses élevées. Ceci a sans doute participé au phénomène actuel qui consiste à « accuser » les personnes non atteintes de diabète de « voler » l’Ozempic aux « vrais » patients. Ce genre de raccourci est dangereux, car il est préjudiciable de juger de la prise de médication ou des démarches médicales d’autrui sans avoir tout d’abord pu faire une évaluation globale et rigoureuse de la personne. Aussi, lorsqu’utilisé pour la perte de poids, ce médicament devrait faire partie d’une démarche d’amélioration des habitudes de vie, idéalement avec un accompagnement d’une équipe multidisciplinaire, ce qui est rarement le cas.

L’Ozempic et la culture des diètes

Dans la société, on perpétue à tort encore l’idée que perdre du poids, c’est automatiquement bon pour la santé. Ainsi, outre les indications pour lesquelles nous pouvons être en accord ou en désaccord, il est normal d’être perplexe, voire fâché.e, par toute la publicité qui mise sur la perte de poids spectaculaire sans aucune mention des effets potentiels sur la santé physique et mentale. On peut en effet questionner le fait que plusieurs éléments sont complètement omis dans la promotion de ce type de médicament. Aucune mention sur les effets négatifs d’une perte de poids trop rapide. Aucun avertissement qu’un déficit énergétique peut augmenter le niveau de sédentarité. Aucun avertissement sur l’importance de préserver sa masse musculaire dans le processus. Aucune mention sur l’influence potentiellement néfaste sur la relation au corps et aux aliments. Et enfin, aucune mesure prise pour protéger nos enfants et adolescent.e.s de ces messages qui contribuent à la pression de perdre du poids et qui pourraient les pousser à tenter de modifier leur poids par différents moyens non sécuritaires. Bref, le semaglutide (l’Ozempic) est-ce un miracle? Non, mais tout de même un outil qui, si utilisé à bon escient, dans les bonnes circonstances, avec le bon patient et les bonnes interventions, peut avoir des effets positifs sur la santé. Le reconnaître ne nous empêche en rien de dénoncer tout le mal perpétué par l'industrie de la perte de poids à tout prix!

* Ce terme est utilisé comme un qualificatif descriptif pour désigner la grosseur sans connotation péjorative.

Est-ce que vous comprenez davantage les nuances qui s’imposent lorsqu’on fait la promotion de l’Ozempic pour la perte de poids?

Références :

  1. Marso SP, Bain SC, Consoli A, Eliaschewitz FG, Jódar E, Leiter LA, Lingvay I, Rosenstock J, Seufert J, Warren ML, Woo V, Hansen O, Holst AG, Pettersson J, Vilsbøll T; SUSTAIN-6 Investigators. Semaglutide and Cardiovascular Outcomes in Patients with Type 2 Diabetes. N Engl J Med. 2016 Nov 10;375(19):1834-1844. doi: 10.1056/NEJMoa1607141. Epub 2016 Sep 15. PMID: 27633186.
  2. Ussher JR, Drucker DJ. Glucagon-like peptide 1 receptor agonists: cardiovascular benefits and mechanisms of action. Nat Rev Cardiol. 2023 Jul;20(7):463-474. doi: 10.1038/s41569-023-00849-3. Epub 2023 Mar 28. PMID: 36977782. Publié dans le Nature Reviews Cardiology juillet 2023
  3. Novo Nordisk Canada Inc. Ozempic. Monographie d'Ozempic. 2022. [En ligne] Disponible à l'adresse : https://caf.novonordisk.ca/content/dam/nncorp/ca/fr/products/ozempic-consumer-information-fr.pdf
  4. Richards J, Bang N, Ratliff EL, Paszkowiak MA, Khorgami Z, Khalsa SS, Simmons WK. Successful treatment of binge eating disorder with the GLP-1 agonist semaglutide: A retrospective cohort study. Obes Pillars. 2023 Jul 20;7:100080. doi: 10.1016/j.obpill.2023.100080. PMID: 37990682; PMCID: PMC10661993.
  5. Nicolau J, Pujol A, Tofé S, Bonet A, Gil A. Short term effects of semaglutide on emotional eating and other abnormal eating patterns among subjects living with obesity. Physiol Behav. 2022 Dec 1;257:113967. doi: 10.1016/j.physbeh.2022.113967. Epub 2022 Sep 24. PMID: 36162525.
  6. Robert SA, Rohana AG, Shah SA, Chinna K, Wan Mohamud WN, Kamaruddin NA. Improvement in binge eating in non-diabetic obese individuals after 3 months of treatment with liraglutide - A pilot study. Obes Res Clin Pract. 2015 May-Jun;9(3):301-4. doi: 10.1016/j.orcp.2015.03.005. Epub 2015 Apr 11. PMID: 25870084.
Claudia Houle
À propos de l'autrice Une nutritionniste clinicienne, bachelière en psychologie et elle-même atteinte de plusieurs maladies chroniques dont le diabète de type 1, qu'est-ce que ça donne? Ça donne une clinicienne qui tente toujours de faire la part des choses entre la science et la vraie vie. Une clinicienne qui reconnaît l'autonomie de choisir de chaque personne, de chaque patient. Une clinicienne qui n'appuie pas ses propos qu'avec ses bonnes intentions, mais qui se base bel et bien sur les réels besoins de chacun, même quand elle n'est pas tout à fait en accord, pourvu que chaque personne soit bien libre et très éclairée! Fondatrice de Référence Nutrition, un regroupement de nutritionnistes qui répond à la fois à ses besoins comme patiente et comme nutritionniste et dont la volonté est d'assurer que chaque patient sera suivi par une nutritionniste experte de son besoin et qui travaillera avec une approche collaborative du partenariat de soins. « Les bonnes intentions, c'est la base en relation d'aide. Ce n'est pas spécial ni unique. Il faut aller au-delà des bonnes intentions et reconnaître avec humilité que nous sommes un collaborateur expert dans l'équipe du patient. Pas son boss ni sa mère! » │www.ReferenceNutrition.ca│www.instagram.com/nutrition.anti.bullshit │www.facebook.com/referencenutrition